lundi 10 février 2014

En finir avec Eddy Bellegueule (Edouard Louis)

















Fin des années 90 en Picardie. Dans la famille d'Eddy, on vit à 7 avec 750 euros par mois. C'est la misère matérielle mais aussi intellectuelle. Une culture foot, Ricard, télé ; l'usine comme seule perspective d'avenir et un mode de pensée quasi unique : racisme, machisme et homophobie. Hors, Eddy a un physique délicat, des manières efféminées et, en plus, il aime les études...

Est-ce que vous vous souvenez du film de Chatiliez, La vie est un long fleuve tranquille ? Oui ? Alors, bienvenue dans la famille Groseille ! L'humour en moins et le désespoir en plus...
Sous couvert de roman, le livre a tout de l'autobiographie mais pas de misérabilisme larmoyant ici car l'auteur, aujourd'hui étudiant en sociologie à Normale Sup, transcende le récit de son enfance par sa patte d'écrivain. Pas de jolies phrases travaillées ou d'effets de style pourtant. Une écriture directe, tantôt crue, tantôt distanciée, alternant le langage brutalement vulgaire qui a cours dans son milieu et l'analyse à posteriori faite par le jeune homme qu'il est finalement devenu, en s'enfuyant pour son salut ! Car l'histoire d'Eddy Bellegueule tient tant de Zola par moments qu'on se demande même si on se situe dans la bonne époque. C'est celle d'un enfant né au mauvais endroit, au mauvais moment, trop différent. Celle d'une enfance fracassée par le rejet... des siens, des jeunes de son âge, de tout le village. Crachats et insultes sont son quotidien au collège, incompréhension et mépris règnent à la maison. Et la honte dévore tout, honte de lui-même, de cette homosexualité contre laquelle il essaie à toutes forces de lutter tant ça semble la pire tare possible là où il vit, honte de la pauvreté, honte de l'alcoolisme, honte de la vulgarité et des idées frustres de sa famille, honte du fatalisme, honte d'avoir envie d'étudier, de penser, de s'évader, honte de la honte même...
Il parviendra finalement à se réaliser grâce à sa volonté, vécue comme un véritable instinct de survie, par le biais d'une option théâtre qui l'éloignera du chemin tout tracé.
Un récit coup de poing qui, à priori, constate plus qu'il ne juge, laissant même la place à quelques rares plages de tendresse à peine esquissées, mais reste néanmoins une charge violente contre ses origines sociales et familiales. En cherchant à en savoir un peu plus, je suis tombée sur un article (ici) qui m'a mise un peu mal à l'aise... alors, où est la vérité, est-il question de la douleur légitime d'une famille qui prend le portrait de plein fouet, d'une version caricaturée à dessein par Edouard Louis, comme le suggère un ancien ami, ou de la marge de liberté et de créativité inhérente au travail de l'écrivain ? Ce qui transparaît en tout cas indéniablement d'En finir avecEddy Bellegueule, c'est la souffrance, comme s'il était écrit avec des larmes et du sang...

Extraits : 

"La plupart du temps ils me disaient gonzesse et gonzesse était de loin l’insulte la plus violente pour eux. (…) Dans ce monde où les valeurs masculines étaient érigées comme les plus importantes, même ma mère disait d’elle “j’ai des couilles moi, je me laisse pas faire.”

"Comment il parle l'autre, pour qui il se prend. Ca y est il va à la grande école, il se la joue au monsieur, il nous sort sa philosophie."

L'avis d'Aifelle et celui de Cathulu...



28 commentaires :

  1. Je veux absolument le lire, même s'il a l'air très dur.

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  2. Encore une fois nous nous suivons... c'est l'une de mes prochaines lectures !

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  3. Je te conseille d'aller écouter l'émission de Pascale Clark, à partir de la 27e minute, ça t'aidera peut-être par rapport à l'article : http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2014/02/10/le-derangeant-proces-du-docteur-hazout/
    Pour moi, il a raconté son ressenti et sa perception de la situation, sa vérité à lui n'est pas nécessairement celle de son entourage. (je vais l'écouter la semaine prochaine dans ma librairie).

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    1. Je note avec plaisir ! Tu nous raconteras après la rencontre ?

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    2. Ah mais attends : ton lien n'a rien à voir, je vais aller chercher sur le net...

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    3. Je l'ai retrouvé et écouté (le bon lien, je pense est là : http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=833044) ils en arrivent effectivement à la même conclusion que moi, ça n'enlève rien à la qualité littéraire et émotionnelle se son texte que tu devines de toutes façons sous-tendu par un sacré fond de sincérité : ça interpelle juste un peu quand tu l'apprends! Et effectivement, sa famille et ses proches ne peuvent qu'être mécontents du portrait qu'il fait d'eux !!!

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  4. Je ne sais pas d'où est sorti le lien que je t'ai mis !! Je trouve les réflexions des critiques plutôt justes dans l'émission, et j'avoue ne pas trop apprécier la démarche du journaliste qui jette de l'huile sur le feu. Ce qui m'a frappée aussi dans l'article, c'est que nulle part il n'est question du père. En tous cas, à mes yeux, la sincérité de l'auteur ne fait aucun doute.

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    1. Moi non plus et j'avoue que d'abord, je n'ai pas trop compris ! ;-)
      Ce qui m'a étonnée à l'écoute de l'émission , c'est sa réaction violente quand il apprend qu'un journaliste va aller rencontrer sa famille : vu la notoriété fulgurante du roman, c'était un peu à prévoir !

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    2. Il a 21 ans !! et je me suis fait la réflexion en l'écoutant à droite et à gauche que si il avait la tête très bien faite côté intellectuel, psychologiquement il avait encore beaucoup à apprendre ..

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    3. C'est sûr mais il a l'air d'évoluer en accéléré quand même !!! ;-)

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  5. Pas assez motivée pour l'acheter (et j'ai beaucoup lu à son sujet, ton billet est le dernier en date), mais je le lirai ... un jour.

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  6. Je le lirai certainement mais les propos des parents me laissent un peu mal à l'aise.... Je vais essayer d'écouter l'émission quand j'aurai un moment !

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  7. Nous sommes assez d'accord: http://voyelleetconsonne.blogspot.be/2014/02/cest-toi-le-pede.html

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  8. voilà un billet qui est passionnant , ainsi que les liens que tu as mis et la conversation avec Aifelle. . je sais que Françoise est en train de le lire et elle ne m'a pas dit encore son ressenti, en tout cas tu me donnes très envie de le lire... je suis allée écouter l'interview de l'auteur après avoir lu l'article auquel tu renvoies et qui t'a mise mal à l'aise... je l'ai trouvé extrêmement posé si c'est un manipulateur, il est très fort , mais je pense plutôt comme Aifelle que sa vérité n'est pas forcément celle de sa famille, rappelle-toi dans la tristement célèbre affaire d'Outreau, ceux qui ont été condamnés (je ne parle pas de ceux qui ensuite ont été acquittés) correspondent exactement à ce type de milieu social décrit par Edouard Louis et ces gens lorsqu'ils étaient interviewés juraient leurs grands dieux aimer leurs enfants alors même qu'ils abusaient d'eux...parfois la vérité prend plusieurs visages et si elle est trop dure à envisager , on la transforme , on la voile, on l'enjolive... j'imagine sans peine que la lecture du livre de leurs fils / frère ait pu être un sacré coup de poing pour cette famille, mais parfois la violence(physique ou morale ) est tellement banalisée que les gens ne la voient même plus... sûr je suis ferrée, et j'ai terriblement envie de lire ce bouquin... j'ai aimé Zola , Annie Ernaux... assurément je devrais aimer celui-là...Merci Véronique...
    ps je te confirme que je ne peux rien faire sur ton autre blog, je n'ai pas la main !!! mystère de l'informatique...

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    1. J'ai hâte de connaître ton ressenti ainsi que celui de Françoise !
      Je vais demander à quelqu'un d'essayer d'y laisser un comm pour voir si le problème est général !

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  9. Un roman qui a l'air très fort, mais la polémique me fait hésiter.

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  10. Voilà je l'ai lu.. d'une traite ou presque ! Je suis partagée en fait , entre l'envie de dire quel coup de poing... et l'envie de dire cela ne vaut pas le battage qui en a été fait ! je m'explique. Quel coup de poing en effet car Zola n'est pas loin et il faut vraiment faire un effort pour réaliser que cette histoire se passe fin des années 90 ! on a beau savoir que certains milieux sont très défavorisés, je crois qu'on s'interdit de voir jusqu'où il le sont, c'est tellement plus confortable intellectuellement. Et puis pire que la pauvreté matérielle et intellectuelle il y a cette pauvreté affective avec laquelle il devra malgré tout se construire. Je ne trouve pas qu'il ait été très dur avec sa mère, je le trouve très lucide, très compréhensif des mécanismes qui l'ont amenée à être ce qu'elle est... un roman dans lequel on a du mal à ne pas voir juste un récit cru d'une réalité affolante... La seconde partie du livre m'a davantage ennuyée et agacée, je trouve une certaine complaisance à l'auteur et justement là je ne trouve pas qu'on soit en présence d'un bon écrivain, qui aurait su peut-être suggérer davantage, certes pas de figure de style, pas de chichis mais du coup la sympathie née de l'écoute de son interview en a pris un coup... bon c'est complexe, mes réactions sont ambivalentes et l'avenir nous dira si je me trompe sur son devenir d'écrivain, de romancier en tout cas car s'il écrit de la sociologie c'est une autre histoire...

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    1. Je crois que le mot ambivalence que tu emplois résume bien ce récit !!!

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